Les nouvelles vies du douglas

La Liberté

Photos : Alain Wicht
Texte : Sylvain Cabrol

Publié le 4 mars 2023
Temps de lecture estimé : 5 minutes

Les nouvelles vies du douglas

Le résineux abattu le mois dernier à Cuquerens a été adjugé à l’entreprise Chalet Schuwey, de Jaun

    SYLVAIN CABROL
    Bois » A l’entrée du village d’Echarlens, un petit panneau triangulaire à la bordure orange claquante avertit les automobilistes: «Attention! Coupe de bois». Que l’on se rassure toutefois, aucun risque d’entendre soudain crier «Timber!» et de voir une bille égarée choir sur la chaussée. Car une affiche déployée dans le champ voisin clarifie la situation: ici se tient la 6e Mise de bois de la Gruyère, organisée sous la houlette de l’association Forêt Gruyère.

    En ce vendredi brumeux de mars, sur le stand de tir où s’alignent les grumes en provenance des quatre coins de la région, les soumissionnaires qui ont participé à la vente viennent assister à l’annonce des adjudications. 468 m³ de bois de 19 essences différentes, 36 fournisseurs et 24 soumissionnaires. Et une star, un résineux dont La Liberté vous avait parlé le mois dernier (La Liberté du 2 février): un douglas plus que centenaire.

      Laurent Schuwey, de l’entreprise familiale Chalet Schuwey, est devenu l’heureux adjudicataire du douglas de Cuquerens, pour un peu plus de 2000 francs. © Alain Wicht

      L’heureux acquéreur

      Originaire d’Amérique du Nord, le sapin de douglas fait aujourd’hui partie intégrante du paysage forestier suisse, en raison de ses qualités éprouvées pour la menuiserie extérieure et la charpente, mais aussi de son rythme de croissance élevé par rapport à ses cousins européens.

      Le spécimen présenté lors de cette mise avait été repéré dans la forêt de Cuquerens: arrivé en fin de vie, le temps était venu de l’abattre, faute de quoi un bois de qualité aurait été perdu corps et âme. Il a été débité en deux pièces de dix mètres de long chacune, respectivement d’un volume de 4,45 m³ et 3,38 m³, adjugées pour 1205,95 francs (soit 271 francs/m³) et 848,38 francs (soit 251 francs/m³).

      L’heureux adjudicataire n’est autre que l’un des représentants d’une dynastie bien connue de Jaun, à savoir Laurent Schuwey. Depuis 2009, cet homme de 49 ans à l’air affable dirige, de concert avec l’un de ses cousins, l’entreprise Chalet Schuwey. «Nous sommes la cinquième génération», évoque-t-il avec une touche de fierté en présentant l’affaire familiale, spécialisée dans la conception de chalets en madrier. «Pour nos clients, on recherche un bois d’excellente qualité, le plus pur possible, explique l’entrepreneur gruérien. Alors, on est partis sur du douglas, qui est un bois qui résiste très bien aux intempéries, et qui est parfait en façade ou pour des balustrades.»

      La famille Schuwey avait déjà manifesté un intérêt pour cette essence quelques années auparavant, mais le vent de la mode n’avait pas encore tourné en faveur du résineux transatlantique. Or, les difficultés d’approvisionnement sur le marché du mélèze ont fini par changer la donne: «C’est devenu compliqué de se procurer du mélèze d’excellente qualité. Il nous faut des billes sans nœud (ramification de l’arbre dont il ne reste que la base, ndlr) ou avec de petits nœuds sains. Et ce n’est pas facile à dénicher.»

      « C’est devenu compliqué de se procurer du mélèze d’excellente qualité. »
      Laurent Schuwey

      D’autant que le mélèze prend plus de temps à grandir que le douglas. Pour Alexandre Pipoz, qui, avec son épouse, est chargé d’affaires pour Forêt Gruyère, les causes de cette raréfaction sont simples: «On a eu 30 ans de morosité sur le marché du bois, à partir du début des années 1990. Les prix étaient bas. Les mélèzes étaient facilement accessibles, ils se vendaient à un bon prix et, pour les propriétaires, privés comme publics, c’était un moyen efficace d’arrondir les finances sur l’année.» Et le caractère exogène du mélèze ajoute à la difficulté: «C’est une essence du sud des Alpes, qu’on trouve plutôt en Valais ou dans les Grisons. Chez nous, il pousse dans des endroits très spécifiques, et il faut bien l’arroser.» L’organisateur de la mise de bois compte sur un changement des mentalités en faveur du douglas: «Jusqu’ici, c’était une essence peu connue et un peu boudée. Le douglas a pourtant les mêmes qualités que le mélèze.»

      Toujours est-il que, depuis deux ans, la maison Schuwey jongle avec les deux essences. «Le douglas a une couleur un peu rosée qui plaît bien», explique Laurent Schuwey tandis qu’il examine les cernes de sa toute nouvelle acquisition. «Par rapport au mélèze, il est un peu plus clair. Mais il faut vraiment être professionnel pour voir la différence», conclut-il avec un sourire.

      Une excellente mise

      Dès son arrivée à l’atelier Schuwey, le douglas de Cuquerens entamera donc sa nouvelle vie. Et ses incarnations seront multiples: «Une fois à l’atelier, on va le scier rapidement en planches ou en poutres, parce qu’il sèche mieux sous cette forme», souligne le codirecteur de l’enseigne gruérienne. Les pièces de toutes tailles et de toutes épaisseurs iront ensuite agrémenter les futurs chalets de la région. «Il lui faudra un à deux mois pour sécher et, d’ici à l’automne, il sera entièrement utilisé.»

      Quant à la mise de bois, elle se conclut sur un bilan très satisfaisant. Malgré un accroissement significatif de l’offre, le taux d’invendus a baissé par rapport à la 5e édition. «Le volume de bois proposé a augmenté de moitié par rapport à l’an dernier, et nous n’avons que deux billes invendues, soit 0,9% du total, analyse Fabienne Pipoz. Le prix moyen des mises a légèrement baissé par rapport à l’an dernier, mais il faut dire que nous avions alors quelques pièces exceptionnelles, comme un érable sycomore. Nous sommes dans la norme.» La chargée d’affaires estime que l’événement, vitrine de l’industrie locale du bois, se trouve sur une trajectoire ascendante: «Reste à élargir le public des soumissionnaires qui, lui, est resté stable. Nous sommes confiants pour l’avenir.»

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        En mètres cubes, la quantité de bois présentée vendredi à Echarlens