Ces trésors cachés sous l’écorce

La Liberté

Charles Grandjean

Publié le 5 mars 2022
Temps de lecture estimé : 5 minutes

Ces trésors cachés sous l’écorce

La cinquième mise de bois de la Gruyère a battu plusieurs records, hier au stand de tir d’Echarlens

CHARLES GRANDJEAN

Forêt » Alignés en rang de chaque côté du chemin menant au stand de tir d’Echarlens, des troncs d’arbres forment comme une haie d’honneur. C’était pourtant bien eux les vedettes vers qui les regards étaient rivés, vendredi à l’occasion de la 5e mise de bois de la Gruyère.

Une centaine de professionnels du bois et autres curieux ont pris connaissance des résultats de cette mise de 260 m3 de bois de qualité et d’essences rares. Les acheteurs avaient préalablement soumis leurs meilleures propositions d’achat par écrit.

Du bois valorisé

«On voit que le marché reprend», se félicitait vendredi Alexandre Pipoz, chargé d’affaires à Forêt Gruyère. C’est cette association regroupant les propriétaires forestiers qui est à l’origine de la manifestation, qui vise à rappeler que la région recèle du bois de qualité, tout en promouvant sa meilleure utilisation. L’intérêt croissant pour le bois se vérifie ici par les chiffres. Ainsi, le prix moyen du bois mis en soumission a atteint un niveau record de 254,65 francs le mètre cube. Soit le double du prix moyen de la première édition en 2018 (125 fr./m3). Une grume d’épicéa a par exemple été adjugée à 180 fr./m3. Il faut remonter aux années huitante pour retrouver un tarif aussi intéressant, remarquent certains observateurs.

Un tronc de noyer présenté par le groupement forestier Leysin-Les Ormonts a atteint le plus haut tarif, à 2002 fr/m3. Tandis que la meilleure bille revient à un érable sycomore de l’Unité de gestion Bulle-Bouleyres, vendu à 6776,80 francs. Parmi les 24 acheteurs, on retrouve surtout des scieurs. Mais aussi des artisans, comme Patrick Fragnière, venu de Charmey. «C’est ma première mise. J’ai misé sur du noyer, de l’if et un morceau d’épine noire», explique ce menuisier, qui pratique le tournage sur bois durant son temps libre. «Je suis à la recherche de bois qu’on ne trouve pas en menuiserie», poursuit celui qui s’est adjugé un morceau de noyer d’environ 45 cm de diamètre, à 450 fr/m3. «Je vais partir sur du plat», commente le menuisier, qui se voit déjà confectionner dans l’année des plats à fruits et des assiettes avec la pépite qu’il a dénichée. Même en bois vert. «En séchant, il va se déformer. C’est ce que j’aime. On laisse la nature parler.» Quant aux chutes, elles lui serviront ultérieurement, une fois séchées, à la confection de poivriers et autres boîtes. Un autre acheteur a lui jeté son dévolu sur de l’if, pour en faire des arcs.

Des histoires d’arbres

Si ces troncs connaissent désormais leur destin, ils ont tous leur histoire. «J’ai dû abattre ces vernes noirs à cause des castors», raconte Jacques Genoud, forestier en Basse-Veveyse, au sujet de l’activité de ces rongeurs sur un cours d’eau qui a déstabilisé ces arbres voisins. «Le verne est imputrescible. A l’époque, ils en faisaient des ponts de char.» Puis d’évoquer un autre noyer présenté qui n’a pas survécu, la faute à une route.

Plus loin, le regard se pose sur trois imposantes billes de Douglas vendues à 220 fr./m3. «C’est assez incroyable de voir l’accroissement, la productivité de ces Douglas», s’enthousiasme Yvan Gendre. Après avoir dénombré les cernes annuels de ces arbres, ce garde forestier à la corporation Forêts Sarine estime leur âge à environ 80 ans pour l’un et 120 ans pour l’autre. Reste une petite déception pour lui: «J’aurais aimé les vendre 100 francs de plus le m3», relève-il. Et de vanter la qualité de son lot: «On a pris la crème de la crème: les dix premiers mètres, de pied.»

Parmi les autres anecdotes, celle de ce frêne de qualité vendu à 333 fr./m3. Un lot qui représente le dixième d’une coupe d’une centaine de m3. Si ce bois a pu être valorisé, c’est grâce à l’intervention du garde forestier Olivier Klopfenstein, de la corporation Glâne-Farzin. «J’ai insisté auprès de l’agriculteur pour lui signifier le potentiel. On a pu sauver ce lot», indique celui qui estime que les propriétaires ne sont pas toujours conscients de la valeur du bois. Dans ce cas, le propriétaire avait déjà commencé à abattre des arbres qui s’étaient alors fendus. Sans son intervention, toute la coupe aurait vraisemblablement fini en bois de feu.

«On prend conscience depuis quelques années qu’il ne faut pas mépriser cette belle matière», abonde le député Benoît Glasson, président de Forêt Gruyère. Pour ce charpentier, une telle mise souligne aussi l’importance pour les forestiers de mettre de côté le plus beau bois. «Cette année, Forêt Gruyère a payé le transport des grumes sur le lieu de mise. Ça aide aussi», ajoute-t-il. Si 98,6% du volume vendu par 24 propriétaires a d’ores et déjà trouvé preneur auprès d’autant d’acheteurs au terme de l’adjudication, le petit solde était encore en vente vendredi. Quant aux curieux, ils peuvent aller admirer sur place ces billes jusqu’au 10 mars.