Mon bûcheron mal-aimé

La Gruyère

Publié le 3 novembre 2022

Mon bûcheron mal-aimé

FORÊT. La moitié des forestiers-bûcherons qui terminent leur apprentissage quittent le métier. En cause, un manque de reconnaissance.

    Il faut redorer le blason du métier de bûcherons

    Salaire bas, pénibilité, manque de reconnaissance, le métier de forestier-bûcheron ne fait plus rêver. La moitié des professionnels quittent les forêts après leur apprentissage.

    LIGNUM. «J’ai fini l’apprentissage en 2003. Sur les 19 forestiersbûcherons qui composait notre classe, seuls deux travaillent encore en forêt», constate Patrick Ecoffey, garde-forestier et membre du comité de Lignum Fribourg. Ce constat inquiète la branche au point qu’une commission de l’Association ForêtFribourg va prochainement plancher sur des solutions pour endiguer l’hémorragie.

    Parmi les raisons évoquées, il y a bien évidemment le salaire. Avec une recommandation de 4400 francs par mois au sortir de l’apprentissage, il reste modeste. «Nous avons pu nous entendre, dans le cadre des négociations salariales, pour une augmentation de 2% en 2023, à titre d’indexation au coût de la vie», précise Patrick Ecoffey.

    La formation n’a rien d’un apprentissage au rabais, même si cette idée a tendance à perdurer dans le grand public, estime Michaël Pachoud, garde-forestier pour la Corporation Jogne-Javroz. «Le forestier-bûcheron n’est pas juste quelqu’un qui a des bras pour tenir une tronçonneuse. Il connaît des essences de bois. Il sait comment vivent les arbres et quelles interactions ils ont entre eux. Il entretient la forêt et connaît bien l’écosystème. En plus, le forestier-bûcheron peut s’apparenter à un sportif d’élite, puisqu’il dépense 2500 calories par jour.»

    La pénibilité du travail pourraitelle représenter un des facteurs de la désertion du métier ? «Effectivement. Mais si on perd des professionnels à cause de la pénibilité, c’est souvent avant la fin de la formation, en première ou deuxième année d’apprentissage. Ou alors plus tard, lorsque la personne atteint un âge où ça devient difficile physiquement», relève Michaël Pachoud. Et Guillaume Remy, machiniste pour la Corporation Berra-Gibloux, de nuancer :«Dans notre corporation, il y a des gens qui ont 60 ans et plus et qui sont toujours en forêt. Car les travaux sont organisés en fonction de leur âge et de leur capacité physique. Il y a énormément de possibilités de formation, vers des brevets notamment. Il faut surtout être motivé à rester dans la branche.»

      Pas assez écoutés

      Autre motif d’insatisfaction, le manque de prise en compte de l’avis des hommes du terrain. «Il y a parfois un fossé entre les ingénieurs forestiers qui donnent les ordres et qui n’ont jamais tenu une tron- çonneuse et le bûcheron qui connaît le terrain et qui, souvent, n’est pas écouté» analyse Benoît Glasson, député, charpentier et membre du comité de Lignum Fribourg.

      Et Patrick Ecoffey d’illustrer par l’exemple : «Il y a beaucoup de moyens mis pour la biodiversité et souvent, c’est de la théorie pure. Au niveau fédéral, on ne prend pas en considération le risque lié au bois mort, encore debout. La semaine dernière, un de nos collègues s’est retrouvé au CHUV avec des vertèbres cassées, parce qu’un arbre sec lui est tombé dessus. Un ingénieur ne verra pas le problème alors que nous savons que c’est dangereux.»

      Le métier traîne aujourd’hui une mauvaise réputation estiment les professionnels, souvent exposés à la critique. «On a presque peur de dire qu’on est forestier-bûcheron», explique le jeune Marc Jenny, de l’entreprise EPF Grandjean à Neirivue. Et Patrick Ecoffey d’ajouter : «Il y a une méconnaissance du public pour la thématique forestière. Parce qu’on coupe des arbres, certains nous prennent pour des assassins. Les gens ne se rendent pas compte qu’on abat des arbres pour différentes raisons, soit parce qu’ils sont malades, soit pour les besoins de la construction.»

      Outre la fonction première d’exploiter le bois, la sylviculture permet d’assurer les autres rôles de la forêt: la protection, la détente et les loisirs. «Si on enlevait les forestiers-bûcherons de notre paysage, les gens se rendraient compte assez rapidement à quel point ils sont importants. Nous avons droit à la une des journaux quand il y a des ornières sur un chemin ou lorsqu’il y a une coupe un peu forte. C’est aussi à nous de mieux vendre notre travail auprès du public, d’expliquer ce que nous faisons», explique Michaël Pachoud avant de conclure: «Les forestiers-bûcherons sont des bons types qui cultivent un solide esprit d’équipe. Ils ont de la mousse sous les godasses. Ils ont un bon sens pratique. C’est ça que nous devons aujourd’hui mettre en avant.» PH

        Les quatre professionnels de la forêt rencontrés sur le stand de Lignum Fribourg: (de g. à dr.) Michaël Pachoud, Marc Jenni, Guillaume Remy et Patrick Ecoffey. ANTOINE VUILLOUD

        Le bois reconnu à sa juste valeur

        Créée en 1988, Lignum Fribourg regroupe toutes les organisations de la filière bois du canton. Elle compte 163 membres (privés, entreprises ou associations), dont 33 communes. Cette association à but non lucratif encourage l’utilisation du bois sous toutes ses formes, notamment dans les domaines des constructions et de l’énergie. Elle vise les circuits courts en favorisant l’utilisation des matières premières locales. «Avec la crise énergétique, le bois est aujourd’hui reconnu à sa juste valeur», se réjouit la présidente de Lignum Fribourg Gilberte Schär.

        La filière du bois est très dynamique dans notre canton, avec une douzaine de scieries et de nombreuses PME, dont certaines de portée nationale. Pour défendre les intérêts de la branche au niveau politique, Lignum Fribourg peut compter sur le relais du Club du bois et de la forêt au Grand Conseil.

        Hôte d’honneur du Comptoir gruérien, Lignum Fribourg a érigé un stand sur 240 m2 qui représente les différents aspects de la filière bois… Avec une présentation chronologique, de la forêt au produit fini, en déclinant les différents métiers: forestier-bûcheron, scieur, charpentier, menuisier et ébéniste.

        L’espace réservé aux apprentis permet aux visiteurs de mettre la main à la pâte pour confectionner un objet. «Les apprentis parlent le même langage que les jeunes, il y a une connexion qui s’opère. C’est une réussite pour la promotion des métiers du bois», relève Gilberte Schär, présidente de Lignum Fribourg, ravie de cette présence au Comptoir. PH