Des thuyas géants aux enchères

La Liberté

Photos : Charly Rappo
Texte : Stéphane Sanchez

Publié le 6 mars 2024
Temps de lecture estimé : 5 minutes

Des thuyas géants aux enchères

Alexandre Pipoz (ici sur une bille de noyer) souhaite attirer davantage d’acheteurs parmi les artisans du bois. © Charly Rappo

Forêt Gruyère: Des thuyas géants aux enchères à Echarlens

La 7e Mise de bois de Forêt Gruyère valorise les meilleurs bois des forêts de la région. Des essences parfois rares, ou même exotiques.

    STEPHANE SANCHEZ
    Echarlens » Taillés au carré, confinés, bridés, les thuyas respirent la banalité. Mais si on le laisse s’exprimer, Thuja plicata peut tutoyer le ciel. Les spécimens de la forêt de l’Arrêt, du côté de Ferlens (VD), culminent ainsi à près de 25 mètres du sol. Quelques billes de cette forêt unique en Suisse romande, propriété de l’Etat de Vaud, sont en vedette à la 7e Mise de bois de ForêtGruyère, qui s’achève ce mercredi soir.

    «Ces thuyas ont été plantés à titre expérimental il y a une cinquantaine d’années», explique Eric Sonnay, ancien garde forestier du Groupement forestier Broye-Jorat. «L’ingénieur de l’époque, aujourd’hui décédé, les avait achetés outre-Sarine et voulait les laisser grandir.» Résultat: un peuplement de plus de 4000 m², plutôt dense, et aussi odorant que dépaysant.

      La forêt de thuyas géants de Ferlens (L’Arrêt) s’étend sur plus de 4000 m².

      © Groupement forestier Broye-Jorat

      Imputrescible

      Organisateur de la mise d’Echarlens, Alexandre Pipoz a pris le risque d’accepter ces thuyas géants, pour servir la cause des circuits courts (lire ci-dessous). «Il y a des intéressés», sourit le chargé d’affaires de Forêt Gruyère, qui laisse durer le suspense en attendant la fin de la mise. «A défaut d’acheteurs, ces billes serviront de bois de feu. Mais ce serait dommage…»

      C’est que les utilisations potentielles du Thuja plicata, originaire d’Amérique du Nord et appelé cèdre rouge, sont nombreuses. L’essence est assez connue pour repousser les mites. Mais ce bois est surtout résistant à la pourriture, et peut entrer dans la fabrication d’embarcations, de mobilier extérieur, de clôtures ou de revêtements de façades.

        Alexandre Pipoz songe même au bardage, et renvoie au retraité Willy Mooser, qui a choisi le cèdre rouge en 2002 pour couvrir le toit de son chalet de la Jacquetta-Dessus, à Charmey. Une bâtisse exposée, située à 1450 mètres d’altitude dans la vallée des Maures, à l’est des Dents-Vertes.

        A l’époque, Willy Mooser était pressé par le temps et n’avait guère trouvé d’alternative. Depuis, ses tavillons de thuya géant, un peu plus épais que ceux en épicéa, ont traversé deux épisodes de grêle sans broncher. Ils ont aussi vite perdu leur teinte rougeâtre pour se confondre avec celle du sapin. «Je voulais quelque chose de durable. Et c’est le cas», assure l’intéressé, qui n’a «rien contre le tavillon classique».

        D’autres raretés

        Au reste, cette 7e mise affiche bien d’autres lots relevés. Quelque 33 fournisseurs, dont 15 particuliers, ont choisi ce canal de vente. Ils proposent au total 519 grumes (458 m³ en tout) alignées sur près de 470 mètres linéaires, à la sortie d’Echarlens, côté Corbières.

          «A défaut d’acheteurs, ces billes serviront de bois de feu. Mais ce serait dommage…»
          Alexandre Pipoz

            Le frêne domine (254 m³), car les peuplements souffrent de la chalarose – un champignon qui n’altère pas le bois s’il est vendu à temps. Les acheteurs trouveront également de grosses pièces de chêne pédonculé (90 m³, dont une bille 96 centimètres de diamètre), du merisier, de l’aulne blanc (très rare), du cerisier, du noyer, du poirier, du tilleul, de l’épicéa ou du mélèze.

            Mais le chargé d’affaires pointe aussi du doigt avec fierté 3 m³ d’érable sycomore ondé – allusion à la configuration ondulée de ses cernes – qui intéressera des luthiers ou des fabricants de meubles. «C’est billes-là s’arracheront à plus 1800 francs le mètre cube.»

              CONVAINCRE LES ARTISANS LOCAUX

              Pour le chargé d’affaires de Forêt Gruyère, Alexandre Pipoz, la mise de bois de qualité d’Echarlens, née en 2018, a trouvé un enracinement régional. «Elle est connue des fournisseurs de tout le canton, Lac et Singine mis à part. La moitié sont des particuliers qui trouvent par ce biais un accès à un gros réseau d’acheteurs pour valoriser leurs meilleurs bois.» Le fait que Forêt Gruyère se charge du transport des bois de la forêt jusqu’à Echarlens contribue à ce succès.

              Par contre, le forestier ne le cache pas: «Entre 85 et 90% de nos billes sont acquises par quatre scieurs ou négociants de la région, et une partie des lots part à l’étranger. C’est quelque chose que nous devons améliorer, sachant que nous voulons favoriser les circuits aussi courts que possible.»

              Forêt Gruyère cherche ainsi à créer progressivement «un nouveau réflexe». «Nous devons attirer davantage les menuisiers, les ébénistes, les marqueteurs, les luthiers, les tourneurs ou les autres artisans du bois de la région», et même les particuliers. D’où la présence d’essences de plus en plus diversifiées ou insolites, comme le cèdre rouge. Cette ambition est désormais reconnue par le canton, qui soutient la mise pour sa contribution au commerce local durable. Un soutien qui devrait lui permettre, pour la première fois, d’équilibrer ses comptes.

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